1972-1975, la liquidation du CECLES-ELDO par George Van Reeth
Témoignage de George Van Reeth (1924-2010)
dernier secrétaire général du CECLES-ELDO (1973-1975)
interviewé par Cécile Mariotte le 28 février 2002 à Kourou
Aubinière, me disait "Bon, faut aller en Guyane maintenant, faut annoncer aux troupes que c'est vraiment fini et qu'ils n'ont plus de job et n'ont qu'à rentrer en Europe ; On fera pour eux, ce qu'on peut, on se battra pour les indemnités" ...Il ne faut pas oublier, qu'à ce moment-là dans les organisations internationales, le jour où vous perdiez votre job , vous n'aviez pas de chômage, vous n'aviez pas de sécurité sociale, vous n'aviez rien. vous étiez bien payé, quand vous étiez là mais du moment que vous n'étiez plus, c'était fini. Donc, j'ai fait mon premier voyage en Guyane très confortable d'ailleurs en première classe. Mais arrivé ici, j'étais avec Franco Emiliani, qui était un ingénieur de l'ELDO, chargé de la base logistique, qui plus tard est devenu un des responsables de l'ESA les plus réputés.
Franco Emiliani en décembre 1976 à L'ESA
Il connaissait, mais moi je ne connaissais pas. On est arrivé ici, on a vu cette base complètement délaissée. A tel point que, la tour Europa, qui plus tard a servi à Ariane 1, nous sommes montés à pied, parce qu'il n'y avait plus d' électricité et les ascenseurs ne fonctionnaient plus. on est quand même allé jusqu'en haut pour avoir une vue .Qu'est-ce qu'on a vu ? On a vu le personnel, qui ont eu beaucoup de dignité, on a parlé avec les gens, on leur a dit" C'est fini, c'est fini , ce n'est pas une crise de l'ELDO, c'est fini cette fois-ci,vous rentrez tous, on fera pour vous ce qu'on peut" .Il n'y a pas eu de drame vraiment, ils n'ont pas très bien pris ça, enfin ils se sont conduits dignement. Ceux qui restaient, c'était pour les bâtiments, tous les équipements et deux Blue Streak ....Deux Blue Streak qui étaient dans un hangar ici. Mais le Blue Streak, pour être gardé avait besoin d'être sous pression. S'il n'était pas sous pression à l'intérieur, il tombait . Donc on ne pouvait pas continuer comme ça. Je les ai vendus pour 1000 livres chacun, donc les deux fusées vendues à un ferrailleur pour 1000 livres chacune.
Toute l'histoire pénible de la liquidation de l'ELDO, c'était un moment ! ... Aubinière m'a dit "mais moi , je n'ai plus aucune utilité ici, je quitte". Et moi, je devenu secrétaire général temporairement de l'ELDO. Ce qui est assez amusant, c'est qu' à un certain moment, j'étais seul. J'étais arrivé à un accord avec l'ESRO, qu' en dehors des gens qu'on avait pu casé dans l'industrie et faire partir avec des indemnités assez convenables, parce qu'il y avait un fait très heureux, la trésorerie de l'ELDO était très très bien, étant donné que la plupart des contrats avaient tellement de retard, qu'on a pas pu les payer, on n'avait pas mal d'argent.
On a obtenu du Conseil une bonne indemnité pour le personnel. Il restait une soixantaine de personnes . J'avais négocié avec Gibson qui était directeur de l'ESA, au milieu des arrangements qui sont pour la création de L'ESA, que ces soixante personnes seraient reprises par l'ESRO. Par contre comme les pays membres de sagesse ou de l'hypocrisie comme on veut, avaient décidé que l'ELDO devait continuer à vivre jusqu'au moment où l'ESA serait crée et donc que les deux organisations pourraient être fusionnées plutôt que liquider, parce que liquider est quand même un vilain mot, avaient donc dit L' ELDO va continuer et comment ? . l' ELDO continuait avec une seule personne, le secrétaire général, c'était moi ; il parait que j'ai eu droit au livre des records. Je crois que je suis le seul homme au monde à être responsable d'une organisation internationale à lui tout seul, il ne doit pas y en avoir beaucoup!!!!!
lettre du secrétaire général du CECLES-ELDO annonçant la liquidation de l'organisation et l'arrêt de du lancement de la fusée Europa 2 F-12
Interview par Cécile Mariotte à kourou le 28 Février 2002
George Van Reeth, Reimar Lüst et Wilhem Brado attendant François Mitterand au salon du Bourget le 3 juin 1985 devant le pavillon de l'ESA
Cécile Mariotte :…Si je vous demandais de faire un bilan de l’Europe spatiale ?
Votre bilan…
GVR :Un bilan ? Je crois que le bilan est certainement positif. Le bilan,ça veut dire quoi ? Si l’Europe n’avait rien fait dans le spatial, c’est inimaginable ! On ne peut même pas le penser maintenant ! Moi je crois que l’Europe, je ne suis pas seul d’ailleurs, Time Magazine a dit la même chose, que l’aventure européenne en général, spatiale, est un grand succès et comme je disais, ça n’est pas seulement moi qui l’ai dit, Time Magazine a dit que ça et Airbus sont les deux grandes choses de l’Europe, ils ont tort, parce que le CERN est quand même quelque chose aussi, mais enfin c’est plus scientifique que technique.
CM : Et pour vous qu’est ce que vous a apporté en fait le spatial ?
Oh pour moi ça n’est pas possible à dire, parce que pour moi c’est ma vie. C’est ce que j’ai vécu et je n’ai à aucun moment , surtout au début quand j’étais à l’ESTEC, je m’amusais tellement à faire ce que je faisais, que j’étais étonné qu’on me payait en plus pour le faire. C’est vrai d’ailleurs et de temps en temps je me disais et en plus ils me donnent de l’argent…
Mais bon, on ne peut même pas discuter : était-ce nécessaire de faire de l’espace en Europe oui ou non, parce que c’est inimaginable qu’on ne l’aurait pas fait. Est-ce que j’ai été content d’être dedans ? Oui, pour moi ça me fait plaisir, je crois que, sans être particulièrement fier ou quelque chose, que j’ai fait un bon boulot à un certain moment ou à un autre. Maintenant les résultats : il faut distinguer– il ne faut plus distinguer parce que c’est fait – l’Europe a fait la plus grande partie, la majeure partie certainement de ces efforts dans l’espace en communauté, on l’a fait ensemble. C’est vrai que le CNES a fait certaines choses seule, les allemands ont fait certaines choses seuls, les anglais aussi, mais pour la plus grande partie, c’est l’Europe qui l’a fait ensemble. Alors ma façon de voir ça c’est me demander : Prenons tout l’argent que chacun des pays a investi dans l’Europe et dans l’effort spatial. Est-ce qu’il y a en a un qui peut dire : si au lieu de les mettre sur le plan européen et de participer à l’effort commun, j’aurais mieux fait de le faire tout seul, j’aurais eu plus de résultats et plus de succès ? Eh bien non, il n’y en pas et ça va pour tous. On peut avoir un doute sur la France, parce que la France a quand même investi pas mal, avec des résultats au plan national définitivement, on peut se rappeler le mot de Davignon si on veut, mais enfin je ne crois même pas que la France aurait eu un « cost benefit » supérieur s’ils avaient dépensé tout ce qu’ils ont dépensé tous seuls. Il est certain que, il n’est pas certain, il est probable que Ariane n’aurait pas existé telle qu’elle est maintenant parce que à nouveau, au changement entre la mort de Pompidou et le Ministre des Finances devenant Président, le sort d’Ariane a été comme ça, a été très très très douteux et on m’a dit du CNES que l’argument qui finalement avait convaincu Giscard d’Estaing de continuer était de ne pas rompre un arrangement ou un accord européen qu’il avait fait dès le début de sa Présidence donc, même là, je crois que la France a finalement profité autant, si pas autant, quand même pour une grande partie, d’avoir collaboré avec les autres, ce genre de truc ne se fait pas seul, et comme je le dis, si on le faisait seul, je ne suis pas sûr que ça marcherait mieux.
CM: Est-ce que vous avez une vision sur l’avenir dans le domaine
spatial ?
GVR: Si, oh si non, je n’ai pas de vision, mes visions se limitent à des choses bien terre à terre ! Je crois que, nous, ceux qui ont fait l’espace jusqu’à maintenant devront passer par une période d’adaptation fondamentale. Vous savez, on était les mecs, on était les maîtres, on était les plus grands, nous on travaillait dans l’espace, l’espace… Ah bon ? c’est ce que les russes ont fait, c’est ce que les américains ont fait et vous faîtes ça et vous allez lancer des… quels types formidables que vous êtes là-dedans! Bon j’exagère, mais c’était un peu l’approche du public, de la presse et de tout le monde, qu’est ce que c’est formidable que vous faîtes ça… Le formidable est devenu quotidien. Les satellites de communications, tout le monde peut en faire maintenant, enfin pas tout le monde, mais on en fait, on n’a plus besoin des Agences pour faire ça. Je crois qu’on va passer par une période, ou on pourrait passer par une période ou on dit : mais au fond ces Agences on n’en a plus besoin du tout, l’industrie peut tout faire. Ca n’est pas la première fois, c’est déjà arrivé. Ce sera aussi une erreur, mais que le rôle des Agences ne sera plus le même dans les dix, vingt ans à venir, comme ça a été dans la période glorieuse quand tout le monde te saluait dans la rue en disant celui-là il travaille dans l’espace, c’est un peu exagéré, mais c’est tout de même ça, c’est un fait ça ne va pas durer …
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