Base equatoriale du CECLES-ELDO à Kourou au centre spatial guyanais de 1968 à 1971
par Roger Vidal, chef de division des équipements au sol au CNES (Témoignage de pionniers du CNES le 12 décembre 2018)
Choix du Centre Spatial Guyanais par le CECLES-ELDO
Un bref rappel d'abord des circonstances de ce choix:
Le 29 mars 1964: création de I'ELDO par 7 états dont 6 européens (Allemagne, Belgique, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Italie) ELDO=European Launcher Development Organization CECLES = Construction des Lanceurs d'Engins Spatiaux.
En février 1966, I'ELDO décide de développer le lanceur EUROPA 2 qui sera lancé de Kourou. Le choix de Kourou avait été très difficile à cause des Australiens et des Britanniques qui proposaient Woomera d'où était lancée EUROPA 1. Cette dernière était l'assemblage d'un 1er étage anglais (BLUE STREAK), d'un 2eme étage Français (CORALIE), d'un étage allemand (ASTRIS). EUROPA 2 consistait à rajouter un 4 ème étage a poudre, dit moteur de périgée, permettant d'amener le satellite à 36 000 km d'altitude, dans le plan équatorial.
Le 12 juin 1970, le dernier lancement d'EUROPA 1 est un échec ! Quelques temps après, I'ELDO lance un Appel d'Offre international pour la construction du site de lancement d'EUROPA 2 à Kourou. Les Anglais proposent Darwin en Australie, par 5° de latitude Sud.
La France doit s'engager pour un forfait de réalisation à 25 MUC, pour emporter la décision.
Début des travaux et contrat de réalisation :
Les travaux en Guyane commencèrent dès 1968, notamment pour l'ensemble de lancement, et un contrat de réalisation de la Base Equatoriale du CECLES en Guyane fut signé entre l'ELDO et le CNES.
Côté CNES, le 1er chef de projet fut M. Socard, appartenant à la Division Equipements Guyane. Il quitte le CNES peu de temps après et je fus appelé à le remplacer, passant de la division Charbit à la division Sillard. Cela ne me posa pas de problèmes, puisque dès le début de mon activité sur le CSG, bien qu'appartenant à la Division Mise en Exploitation, j'avais eu beaucoup de relations avec la Division Equipements et Yves Sillard lui-même. Je n'avais qu'à me louer des relations positives que nous avions entretenues et de la confiance que celui-ci m'a toujours témoignée. Le contrat de réalisation correspond à l'ensemble des installations nécessaires au lancement d'EUROPA 2.
- installation et moyens nouveaux :
Avancement des travaux :
Sur le chantier du CSG, les travaux étaient suivis, en ce qui concerne l'ensemble de lancement par l'équipe SERETE et également par les ingénieurs du CSG formés a Brétigny, notamment J. Hourdin et Y. Béguin. En outre les ingénieurs de CSB/ES firent beaucoup de missions au CSG. En particulier M. Mignot qui, après avoir suivi la réalisation en usine de la tour de montage et du mat ombilical par Bordeaux Sud, fut détaché pendant une longue période, representant Equipement Sol. M. Bourriaud fit de nombreux sejours au CSG, surtout dans les phases critiques précédant la recette. A titre personnel, j'ai eu à mon actif une dizaine de missions certaines années.
Globalement, on peut considerer que la realisation de la B.E.C. en Guyane s'est déroulée dans de bonnes conditions compte-tenu de la difficulté intrinsèque d'un tel chantier à Kourou. Je peux néanmoins citer deux aléas qui nous perturbèrent et que nous pûmes surmonter. Ce sont :
- Tout d'abord la faillite d'un sous-traitant imposé par des retours industriels d'un contrat européen, à savoir LINDE, fournisseur des reservoirs cryogeniques, incapable au dernier moment d'assurer sa livraison. Heureusement AIR LIQUIDE, principal industriel de l'usine d'oxygène et d'azote liquide, put y suppléer sans trop de retard.
La Recette de la B.E.C.
Comme dans toute recette il y eu quelques réserves à lever dans les semaines suivantes. Je me souviens de deux d'entre elles :
- la villa de K. Iserland. Celui-ci avait bien suivi sa construction. II nous fallut résorber le retard pris à son rajout tardif et réparer beaucoup de détails de finition.
Le Véhicule de référence multiétages (V.R.M.E.)
Dès 1969, bien avant la recette de novembre 1970, l'équipe ELDO du CSG, une soixantaine de personnes s'était installée à Kourou repartie dans des appartements ELDO de la SIMKO et dans les villas des Roches. Après la recette, cette équipe et le CSG préparèrent l'essai statique précèdent le 1er lancement. Baptisé VRME (Véhicule de Reference Multi-Etage), il consistait à exécuter une préparation du lancement avec un véhicule 1er étage BLUE STREAK, sur l'ensemble de lancement. II eut lieu avec succès, le 8 mai 1971.
Cette réussite qualifiait l'ensemble de lancement EUROPA 2 et le CSG, c'est-a-dire la Base Equatoriale du CECLES. Tout cela ne s'était pas fait sans mal. Je me souviens encore, alors que je venais d'être promu chef de la division ES, dans le dernier semestre 1970, de l'inquiétude qu'avait manifestée le Général Aubinière sur la bonne fin du projet. Revenant de Cayenne, il avait voyagé avec M. Bourriaud qui lui avait fait part des difficultés rencontrées sur le chantier. Je fus donc convoqué à Brétigny et devant le général et N. Charbit, je dus donc démontrer que nous maitrisions le sujet, malgré les aléas d'une fin de chantier et qu'en particulier nos réserves budgétaires étaient largement suffisantes pour y parvenir. Le Général Aubinière en fut, semble-t-il convaincu. II est vrai qu'au plan Budget, en effet je crois que la construction de la B.E.C. en Guyane a été également une réussite malgré le pari des 25 MUC au démarrage. Nous avons finalement rendu beaucoup de MF à la direction du CNES, quelques 30 à 50 MF, si ma mémoire est bonne. Ils furent immédiatement réaffectés à la Division ES pour le PRIE: (Plan de Renouvellement de l'Infrastructure et des Equipements du CSG).
Participation de I'ELDO aux frais de fonctionnement
J'ai évoqué l'investissement qu'a constitue Ia B.E.C. II convient aussi d'évoquer les frais de fonctionnement du CSG. Dès avant la recette de Novembre 1970, c'est avec N. Charbit qui, aux Relations Extérieures du CNES, fut chargé de négocier la convention de participation de I'ELDO à ces frais. II me demanda évidemment de l'assister.
J'eus une première réunion technique avec un responsable de I'ELDO-Paris, en l'occurrence M. Graveret, pour definir la charge que représentait pour le CSG, la présence de la Base ELDO et les lancements d'EUROPA 2. En me basant, d'une part sur l'implication du CSG lors d'un lancement d'EUROPA 2, d'autre part sur le programme annuel des lancements alors prévus pour 1971-74, à savoir 30 Fusées Sondes, 4 DIAMANT, deux EUROPA 2
J'avais établi un projet qui aboutissait à une participation un peu supérieure à 40%. A mon grand étonnement, mon interlocuteur accepta facilement mon analyse. Puis N. Charbit me demanda de lui préparer un projet de clauses techniques de la convention. Après quoi, nous partîmes avec un volumineux document pour aller le discuter à Kourou avec le CSG et I'ELDO. Nous étions passés par la Station de Fortaleza que M. Nekrouf présenta à N. Charbit. C'est lui ensuite qui finalisera assez difficilement avec ELDO-Paris, la convention par laquelle le CECLES prenait à sa charge 40% des frais de fonctionnement du CSG.
Lancement de F11
II restait à attendre avec un peu d'espoir et beaucoup d'inquiétude, le lancement F11. II eut lieu le 5 novembre 1971. Consternation, ce fut un échec. S'en suivit la crise de I'ELDO que l'on sait. Nommé Secrétaire General du CECLES en janvier 1972, le général Aubinière maintient F12, reporté à Novembre 1972 puis Avril 1973.
En avril 1972, Y. Sillard qui a rejoint I'ELDO, est nommé Chef de projet d'Europa 3.
En décembre 1972, à la conférence spatiale européenne, où le deuxième package est présenté Europa 3 et le LIIIS que propose le CNES sont abordés.
En Janvier 1973, le général Aubinière est nommé Secrétaire général de la CSE.
Et le 27 Avril 1973, le CECLES arrête Europa 2, alors que le 1er étage de F12 roule vers Kourou " un convoi funéraire", selon K. Iserland. Quelques jours auparavant, le 2 avril 1973, Y. Sillard revenait au CNES comme directeur des Lanceurs, et Frederic d'Allest comme chef de projet LIIIS-ARIANE.
En juillet 1973, la CSE adopte le deuxième package-deal LIIIS-SPACELAB-MAROTS, la création de I'ESA étant reportée en Avril 1974. Et le 8 octobre 1973, LIIS devient ARIANE, nom qu'a choisi le ministre J. Charbonnel. Le 19 Mai 1974, après le decès de Georges Pompidou, Valery Giscard d'Estaing est élu Président de la République. Considérant que la France ne pouvait pas à Ia fois poursuivre un programme national et un vaste projet européen, il va obliger le CNES à abandonner les programmes Fusées-Sondes et DIAMANT !
Comment avons nous traversé cette période d'après ELDO:
La période fut très délicate et parfois quelque peu irréaliste. Nous avions magnifiquement réussi la construction de la Base Equatoriale du CECLES, mais sa raison d'être était anéantie. En 1972, je suis allé consulter J.P. Causse, chargé des projets nouveaux à I'ELDO. II m'a d'abord demandé d'étudier l'emplacement de l'E.L. EUROPA 3, ce que nous avons démarré. Un an plus tard, il m'a proposé de réfléchir I l'utilisation du CSG dans un projet Post-APOLLO avec la NASA. Côté CNES, il est vite apparu que la transition serait longue. Le DG M. Bignier a crée un groupe de travail chargé de définir la situation du CSG. II était composé de 4 personnes, H. Bortzmeyer, J. Gruau, M. Armand de la Division Administrative et moi-même. Après quelques réunions nous avons conclu qu'il y avait deux solutions possibles :
A) La mise en cocon des équipements, le CSG à l'arrêt opérationnel, réduit au gardiennage et à la maintenance passive des équipements.
B) Le CSG fortement réduit, mais pratiquant la maintenance active des équipements grâce à des lancements de fusées sondes. C'est cette configuration B qui sera retenue par le CNES et les autorités nationales. Et c'est H. Bortzmeyer, qui succéda à B. Deloffre à l'automne 1973 qui sera le Directeur du CSG chargé de l'appliquer.
En septembre 1975, après l'arrêt du programme français de fusées-sondes, puis le lancement réussi du satellite D2B par le dernier DIAMANT BP4, le CSG sera mis en sommeil pour un peu plus de 3 ans, ne lançant que quelques fusées-sondes étrangères, SUPER-ARCAS notamment dans le cadre du programme EXAMETNET .
Et le 15 juillet 1975, voyait le début de la transformation du pas de tir EUROPA 2 en Ensemble de Lancement ARIANE, l'ELA 1. Pour les équipes sur place, ce fut un épisode douloureux.
L'équipe ELDO rentrée en France fut licenciée, quelques membres purent se recaser. Une grande partie du personnel métropolitain rentra en France. Quelques-uns purent rester au CNES. J'eus le plaisir d'en accueillir certains.
document : HAEU ELDO-4588 Florence
document ESA : http://esamultimedia.esa.int/docs/corporate/ESA50_...