Le Général Robert Aubinière 2éme secrétaire général du CECLES-ELDO interviewé par André Lebeau
le passage au CECLES-ELDO du Général Aubinière interviewé par André Lebeau du CNES en janvier 2001 (livre publié en 2008 aux éditions L'Harmattan)
Général Robert Aubinière (1912-5 décembre 2001) André Lebeau
2éme secrétaire du CECLES-ELDO de 1972 à 1973
André Lebeau: j'aurais aimé qu'on aborde parce c'est intéressant, votre passage du CNES à L'ELDO. La façon dont vous êtes arrivé à l'ELDO; la situation que vous avez trouvée; les mesures que vous avez prises; Je sais que ce n'est pas un épisode très agréable mais...
Général Aubinière : Pourquoi, si! Non, non, je n'ai pas de regrets.
AL: Vous avez hérité d'une situation....
GA: Ce sont des situations que j'aime. Non, non, je me suis bien plu moi à L'ELDO, et je crois qu'ELDO aurait très bien fonctionné. Au fond , ce que je crois moi, c'est les Allemands étaient hostiles, avaient très peur de leur échec et ils avaient l'impression qu'ils n'étaient pas capables de faire leur troisième étage et de le réussir, et le ministre de l'époque, qui était d'ailleurs un socialiste dans un gouvernement Schmidt, était je crois décidé à tuer le programme; du côté français c'était le maire de Brive.
AL: Charbonnel ?
GA: Charbonnel, oui, qui était là, je ne le connais pas assez, vous le connaissez mieux que moi; je l'ai tenu au courant le mieux possible de ce qui se passait et l'impression que j'avais, était que vraiment les Allemands n'en voulait plus. Du côté du CNES, vous le savez, le CNES n'était pas très chaud non plus, et avait un programme qu'il estimait pouvoir faire....
AL: Je pense que ça, il faut vraiment qu'on en parle de façon approfondie, mais il y a une question qui m'intéresse, c'est la suivante: globalement dans l'histoire de L'ELDO, effectivement les Allemands n'ont pas très bien réussi, mais les Allemands partaient de zéro en matière de propulsion.
GA: oui.
AL: Ils avaient un passé naturellement, mais le passé avait quelque peu émigré aux Etats-Unis et ils étaient à zéro depuis la fin de la seconde guerre mondiale parce qu'ils avaient interdiction par le traité de Paris de travailler là dessus. Est-ce qu'à votre avis, le fait que L'ELDO a offert un moyen de contourner les interdictions du traité de Paris à l'Allemagne, c'est à dire sur les fusées, les lanceurs etc... ça a joué un rôle dans la position Allemande?
GA : Un rôle pour quoi ?
AL : Pour que les Allemands y adhérent.
GA : ça, c'est sûr que les Allemands n'avaient qu'une chose en vue, c'est acquérir la technique; ils se moquaient complétement de L'ELDO. Et c'est pour cela qu'ils voulaient toujours faire des lanceurs extrêmement compliqués, extrêmement avancés, parce que ce qu'ils voulaient , c'est de la technique et être forts en techniques avancées. Ce qui les intéressait, c'est la technique et la technologie. ça ne les intéressait pas de dire; je vais lancer des satellites. Vous voyez ce que je veux dire.
AL: Oui ,mais leur seul moyen de faire de la technique, c'était un accord international.
GA : Absolument; C'est grâce à cet accord international, qu'ils en faisaient mais, alors que nous, ce qu'on voulait, c'était lancer Symphonie. Eux, ils s'en foutaient complétement.
AL: C'est une dimension qui a été toujours présente dans nos relations avec les Allemands, je crois , leur désir de faire des techniques avancées. Je ne sais pas si vous vous rappelez, que du temps de Peyrefitte, les Allemands, Siemens en l'occurrence, nous avaient proposé d'étudier conjointement un réacteur nucléaire embarqué sur satellite; alors on avait regardé et on avait dit: eh bien on ne voit pas très bien à quoi ça pourrait servir dans un avenir prévisible. Les très gros satellites ne sont pas encore à l'horizon. Et Peyrefitte nous avait dit "Ecoutez si les Allemands ont envie de le faire ,il y a certainement de bonnes raisons; essayer de les faire s'expliquer" On avait demandé aux Allemands : pourquoi, Et ils avaient dit essentiellement: "C'est pour faire de la technique, faisons de la technique et on verra après"
GA : dans le livre de Laurent Schwartz, il y a des choses très intéressantes: il explique qu'au moment de l'arrivée d'Hitler ,tous les scientifiques et les techniciens Allemands sont partis et alors que l'Allemagne était la grande nation technique au monde, ensuite c'est devenu les Etats-Unis.
AL: C'était la première communauté scientifique du monde ; ils ont éliminé tous leurs savants juifs...
GA: Juifs et non juifs si bien que la puissance technique des Etats-Unis vient de là. ça vous le trouvez encore très nettement dans L'ELDO. Par exemple Europa 3 pour eux, ils se foutaient complètement que Europa 3 fonctionne; ce qu'ils voulaient c'est apprendre l'oxygène-hydrogène . C'est tout à fait intéressant , ce sont deux notions très différentes; alors que nous on voyait un lanceur pour lancer, un moyen quoi.
AL: Je vous propose qu'on reprenne la fin de votre période au CNES, quand vous étiez président du conseil de L'ELDO et votre transition vers l'ELDO.
GA: Le président du conseil de L'ELDO n'a pas un rôle considérable. Son rôle consiste simplement à orienter les débats du conseil lui-même, mais bien entendu ça ne donne pas d'autorité sur les membres du conseil; Je dois dire que pendant toute cette période ( ça vous paraîtra peut-être extraordinaire à cause de ce qui a suivi) mais durant toute cette période j'ai passé mon temps en tant que CNES à dire au ministre qu'il fallait quitter L'ELDO et que l'organisation telle qu'elle fonctionnait allait dans le mur et qu'on arriverait pas à faire...d'abord le lanceur n'avait aucun intérêt; ensuite quand on a modifié la nature du lanceur en mettant un quatrième étage, ce qui évidemment lui permettait de lancer des satellites de télécommunications, je pensais que l'organisation telle qu'elle était conçue ne pouvait pas manager un lanceur et qu'elle allait dans le mur. En fait c'est ce qui est arrivé, et alors j'ai toujours été renvoyé sur mes buts par tous les ministres. Les ministres m'ont toujours dit; il y en a même un qui m'a traité d'Israélien en disant : " vous avez une mentalité d'Israélien parce que vous voulez toujours redresser les choses alors que ça va très bien comme ça". Donc, j'ai toujours été opposé à l'organisation telle qu'était celle de L'ELDO.
AL: En quoi c'est Israélien de vouloir.....?
GA: Eh bien, je ne sais pas parce c'était à l'époque de la guerre des six jours; c'était au moment où le gouvernement français n'était pas très favorable à la politique israélienne et trouvait que la position israélienne n'était pas la bonne ? je dis ça pour dire quelque chose; ça n'a pas grand intérêt.
Quoiqu'il en soit, quelle était la cause fondamentale au fond de l'échec de L'ELDO ? La cause fondamentale, c'est que chaque état était patron de sa responsabilité, mais L'ELDO ne jouait pas son rôle de coordinateur, de manager qu'elle aurait dû jouer: elle n'avait pas l'autorité; elle n'avait pas cette autorité, d'abord parce que je pense que le secrétaire général de l'époque n'en était pas capable, c'était un ambassadeur; il n'était pas appelé à faire ça; il avait l'art des compromis, ce qui n'est pas du tout ce qu'il faut pour faire un lanceur. Il ne faut pas de compromis, il faut des décisions. Et d'autre part, les Etats eux-mêmes étaient opposés à l'autorité de L'ELDO. ça, je crois que c'est très très important parce que c'est ça qui est au fond...il y a une très grande responsabilité des Etats; Les Etats ne pouvaient pas imaginer que L'ELDO leur donne des ordres. on retrouvera d'ailleurs le même phénomène dans L'ESRO; par exemple comment choisissait-on l'industriel qui devait réaliser un satellite ou une portion de satellite? Chaque état défendait la position qui lui était le plus favorable. Ils ne s'occupaient du résultat; ils ne s'occupaient pas de savoir si c'était une bonne proposition ou une mauvaise proposition; ce qui était important c'était de savoir si c'était 30% ou 40% qui revenaient à l'industrie nationale ou non. Et ça c'était tout à fait frappant: Bignier en a une partie de responsabilité d'ailleurs et nous tous...
AL : Pourquoi en tant que représentant français....?
GA : En tant que représentant français quand il était lui ...là je parle surtout de L'ESRO parce que L'ELDO c'était joué, tandis qu'à L'ESRO, c'était fonction des satellites qui se faisaient.C'était très frappant; de telle sorte que, si vous voulez, le fait que les Etats ne voulaient pas d'une responsabilité de l'organisation a fait que ça n'a pas pu fonctionner. je fais un bon vers la fin, vers Europa 3 ( donc tout à fait à la fin) je ne pouvais pas obtenir que L'ELDO soit le patron d'Europa 3; c'étaient les Etats qui voulaient l'être et ils voulaient aussi que les industriels jouent leur rôle alors que, quand on a fait Ariane, les mêmes personnes, puisque Sillard se retrouvait là, ont traité à forfait avec les industriels sans problème. Bien entendu, la technique n'est pas la même et on pourrait discuter; mais enfin il y a un changement d'état d'esprit. Le CNES , responsable d'Ariane, avait le pouvoir et même était félicité parce qu'il était le patron; il traitait à forfait avec les Allemands, avec les Suédois pour le calculateur etc...tandis que c'était interdit à L'ELDO. Il y a donc là , à mon avis, une responsabilité des Etats qui est très grande dans la chute, dans les échecs de L'ELDO. Alors sur ce, il faut dire aussi que le premier étage ( je ne parle pas d'un point de vue technique de savoir s'il fallait faire ce lanceur -là ou ne pas le faire, j'admets que c'était ce lanceur qu'on voulait faire) le premier étage a très bien fonctionné; tous les tirs ont bien marché, les anglais ont montré qu'ils étaient bons. C'est à partir du deuxième étage français que ça commencé à aller mal avec l'échec du deuxième étage sous la responsabilité de la Direction des engins. A ce moment -là, le CNES décide de reprendre la responsabilité et de confier le management à une autorité ferme qui était la SEREB et à partir de là le deuxième étage a bien fonctionné et le système premier étage-deuxième étage a été satisfaisant. Le dernier échec, qui a été très important a été celui du troisième étage et de l'ouverture des coiffes; ça il est certain que du côté Allemand l'autorité n'existait pas, les industriels étaient complètement les patrons et ils voyaient dans L'ELDO une vache à lait; ils voyaient dans L'ELDO un moyen de gagner de l'argent mais ils se fichaient complètement des résultats. Pendant deux ans, j'ai été président de ce Conseil. C'était quand ?
AL : C'était dans les deux années qui ont précédé votre départ du CNES, je suppose.
GA: Il y eu un président entre temps qui était Allemand , je crois ou un Hollandais. Ensuite , en 1971 , pourquoi ai-je quitté le CNES et pourquoi suis-je allé à L'ELDO ? on peut se le demander après ce que je viens de dire; on peut se dire : c'était complètement idiot ; D'abord je voulais m'arrêter à 60 ans; j'ai des idées fermes sur la vie , on ne vit qu'une fois et j'estimais qu'à soixante ans, ça suffisait . Donc je voulais m'arrêter à 60ans et puis le problème de Symphonie s'est posé.
Le problème de Symphonie provenait du fait que la politique américaine ne pouvait envoyer de satellite qu'à condition qu'il soit expérimental. (vous savez ça beaucoup mieux que moi) Eh bien comme nous voulions nous que Symphonie soit un satellite réel, un satellite opérationnel, il fallait le lancer avec un lanceur non américain. Ca ne pouvait être que l'ELDO, donc comme je tenais beaucoup à Symphonie, parce j'ai participé à Symphonie, et puis c'est énervant quand même de savoir qu'on ne peut pas faire ce qu'on veut de son satellite, je me suis dit: Il faut que l'ELDO continue, réussisse, pour faire le satellite. A ce moment là, le secrétaire de l'ELDO s'en allait, prenait sa retraite . Carrobio s'en allait. Je me suis dit: je vais prendre la chose et je vais essayer. J'essayais depuis deux ans d'ailleurs de dire à Carrobio qu'il fallait modifier l'organisation; mais il n'y arrivait pas; il ne voulait pas le faire d'ailleurs; ce n'était pas du tout ses idées. L'ELDO à ce moment là était réduite à trois états: L'Allemagne , la France , et la Belgique pratiquement. J'ai été nommé secrétaire général: Le directeur technique a été nommé : C'était Hoffman, un Allemand et les Belges ont désigné le directeur administratif qui était Van Reeth. Les trois états étaient représentés et on formait une trinité. J'ai obtenu que - il y avait deux programmes, le programme Europa 2 et le programme Europa 3 qui étaient prévus- J'ai mis un Français à la tête des deux programmes: Le premier ça été Chauvallon - Il a été patron de Cannes après- Chauvallon qui était un ingénieur de Sud Aviation que j'ai pu avoir après la SEREB et puis Sillard que je connaissais depuis très longtemps et qui lui est venu pour Europa 3. J'avais été chargé par l'ELDO de faire un rapport sur la situation d'Europa 2 à la suite du dernier échec d'Europa qui avait eu lieu à Kourou. (J'étais au CNES encore) J'avais été chargé de faire un rapport sur ce qu'il fallait faire pour qu'Europa 2 marche. J'ai demandé un ingénieur Allemand pour m'aider et Sillard et à tous les trois on a fait une étude très approfondie de tous les éléments du lanceur et on a fait un rapport dans lequel on disait: Europa 2 peut marcher à condition d'avoir une politique ferme, un management ferme et en particulier d'être beaucoup plus rigoureux sur les tests, sur tous les essais qu'il y avait à faire. Et alors ensuite suivant ma méthode un peu brutale, j'ai vidé un certain nombre de gens qui étaient insuffisants, qui me paraissaient insuffisants et qui n'avaient pas un intérêt énorme et on a mis à leur place un certain nombre de gens qui étaient très efficaces.
AL: Vous avez vidé une fraction importante du personnel de l'ELDO ?
GA: Je le crains, oui. J'ai vidé beaucoup de gens parce que l'ELDO était incontestablement un moyen pour les états de faire une fin de carrière à leur agents. Alors vous aviez des gens âgés; Il y avait beaucoup d'Anglais qui étaient là, qui étaient en âge de prendre leur retraite; il y avait des Français aussi, des Allemands et tout ça, on a vidé, je ne sais pas , mais enfin on a bien vidé trente pour cent du personnel. Et surtout on a réorganisé complétement l'ELDO, le siège. C'est à dire qu'il y a eu un patron d'Europa 2, un patron d'Europa 3; j'en ai parlé. Chauvallon et Sillard. Alors ne parlons que d'Europa 2 qui est le plus important; dans mon esprit je ne faisais qu'Europa 2, et après je serai parti, je voulais faire Europa 2. Il y a eu un patron du premier étage, deuxième étage, troisième étage, quatrième étage, etc. et tout ça coordonné par Chauvallon qui en était le patron. Je suis allé voir tous les industriels responsables dans tous les pays (Angleterre, Allemagne) et je leur ai expliqué la méthode qui allait être une méthode beaucoup plus ferme; et qu'ils ne me parlent pas toujours d'argent ( parce qu'ils parlaient toujours d'argent et ça m'énervait) en leur disant que la première chose à faire c'était de réaliser. et on a fait un nombre d'essais énorme. On s'est aperçu que le troisième étage Allemand avait besoin d'être refait totalement et qu'il était vraiment dans une situation mauvaise. On a eu beaucoup de mal à trouver le calculateur Anglais; il n'y en a eu que deux après les essais, qui étaient valables, qui marchaient. Heureusement qu'il n'y a pas eu de tirs! Et j'avais demandé l'aide d'ingénieurs américains. Il y a eu des ingénieurs américains qui sont venus pour nous aider à mettre en œuvre et eux m'avaient dit ( c'était tout à fait mon avis) que la grande erreur qu'avait faite l'ELDO, avant qu'eux arrivent, c'était de vouloir tenir les délais. tenir les délais , évidemment c'est très bien mais on ne peut pas tenir les délais à n'importe quel prix. Nous on était obligé de dire qu'on retardait le tir; c'était au moment des élections françaises. C'était au moment où je crois, Giscard allait devenir Président. On a dû retarder le tir qui était prévu. A ce moment là , il y a eu un changement dans le gouvernement Allemand et le gouvernement allemand était décidé à abandonner Europa 2 et Europa 3 : il voulait tout supprimer et il voulait ... la politique allemande était de s'associer avec les américains et de participer à ce qui allait être la Navette Et faire le container, vous savez...
AL: Spacelab
GA: C'était la politique allemande, j'ai essayé de défendre la position qu'on devait pouvoir tirer nos deux lanceurs; on devait pouvoir les faire marcher, peut être pas en octobre mais en novembre ou en décembre; je n'ai pas été suivi; les allemands ont gagné ; le gouvernement français a accepté la position allemande et en plus il prévoyait un lanceur que vous connaissez mieux que moi, Ariane pour remplacer Europa 3.
AL: Il n'y a pas eu de tirs sous votre secrétariat ?
GA : Non pas du tout. On n'a pas tiré une fois. Le dernier tir a été fait avec Carrobio et c'est le dernier tir qui a tout déclenché... l'effondrement. Voilà je crois, ce qu'on peut dire. Il est plus facile, toujours, de prévoir le passé que l'avenir. Ariane est un succès et c'est très bien, ce qui s'est passé au fond; d'ailleurs beaucoup de gens qui l'ont fait, étaient à l'ELDO. Sillard, D'Allest, on les retrouve donc l'ELDO a quand servi un petit peu à quelque chose.
AL: Où était d'Allest à l'ELDO?
GA : Il s'occupait du deuxième étage d'Europa 3
AL : Je crois que l'analyse française ( je ne sais pas ce que vous en pensez) mais autant que je l'ai bien comprise; Il y a eu trois éléments dans l'analyse française le 1er : c'est, Les Allemands vont lâcher et on ne peut pas faire un lanceur européen avec la Belgique et la France.
GA : D'abord je crois qu'en réalité les Allemands n'avaient pas confiance dans leurs industriels: ils s'étaient dit qu'ils allaient échouer et que ça allait être de leur faute.
AL: 2éme point de l'analyse : On ne peut pas confirmer Europa 2 parce que ce n'est pas un bon lanceur et troisièmement : Europa 3, il y a de bons éléments dans la conception mais le deuxième étage est trop ambitieux et on va se casser la gueule. Donc il faut tirer un peu plus court et... c'était réaliste, je crois.
GA: Oui, absolument ça m'a appris quelque chose (au début je n'étais pas content) mais techniquement, il ne faut pas essayer de faire des choses trop violentes, trop rapides, et il n'y a pas de doute que Ariane correspondait à ce qu'on était capable de faire. Et ça, c'est très intéressant parce que, en fait, pendant que les américains se perdaient dans leur Navette et y dépensaient des sommes énormes, Ariane conquérait le marché.
AL: Ariane a repris les éléments d'Europa 3, c'est à dire le premier étage d'Europa 3
GA: Le premier étage d'Europa 3 et aussi le pas de tir.
AL: le pas de tir d'Europa 2 qu'on retaillé au moins pour un temps.
GA : C'est ça. Il est évident que l'ELDO n'a pas été quelque chose de complètement perdu mais on aurait pu faire tout de même pour moins cher et plus rapidement.
AL: Je crois que ça été une très dure leçon pour les Européens qui ont compris que ce n'était pas comme cela qu'il fallait faire.
GA: Absolument. C'est sur; je m'étais dit: Il faut quand même arriver à lancer ce truc là maintenant qu'on dépensé autant d'argent; mais c'est un reflexe de gamin , je le reconnais.
AL : Il aurait fallu vider Carrobio beaucoup plus tôt.
GA: ça, je le crois. Je l'avais toujours dit: ce n'est pas que je voulais sa place.
AL: Mais pourquoi l'a-t-on gardé si longtemps?
GA: Oh bien ça... vous savez c'est difficile de vider quelqu'un comme ça. Remarquer que Carrobio était un type intelligent, mais il n'était pas fait pour ce métier-là .C'était un diplomate , pas du tout un patron.
le 1er Secrétaire du CECLES-ELDO Renzo Di Carrobio en compagnie du Général Aubinière à droite, alors directeur du CNES, le 8 Mai 1970 ( visite de la station de poursuite de Honeysuckle en Australie )
AL: Je ne sais pas ce qu'il avait fait avant?
GA: Il était ambassadeur en Amérique Latine. Il parlait le français, il parlait l'anglais et l'allemand très bien, trois langues.
AL: ça procédait d'une conception où l'état major de l'ELDO n'avait pas de rôle technique et laissait les ...
GA: Je trouve qu'il n'était pas bon: L'état major que j'ai trouvé était mauvais, ne correspondait pas à ma conception. Par exemple le directeur technique qui était anglais, était un type qui n'était pas mauvais, qui était intelligent, mais qui n'avait pas la poigne. Il avait quand même l'idée de conserver sa place et de ne pas vexer les états. Alors, ça, ce n'est pas possible. Je vais vous raconter une anecdote. Il y avait un Italien qui avait été affecté juste avant que j'arrive, un ingénieur Italien, peut-être deux ou trois jours avant mon arrivée. Il était arrivé et, aussitôt arrivé, il était parti au ski. Alors qu'il y avait un délai d'un mois pour l'essayer, lui pendant quinze jours, il faisait du ski. Quand il est revenu, je lui ai dit: " écoutez, je suis désolé, retournez- y, n'hésitez pas " J'ai eu une pression continue de tout de ce qui était italien dans le monde : On m'a téléphoné en me disant " Ecoutez vous ne pouvez pas faire ça, c'est un type formidable " On imagine Carrobio là dedans c'aurait été....
AL: Alors on est arrivé vers la fin de l'ELDO. comment est-ce que cela s'est passé?
GA: La fin de l'ELDO. Ca s'est passé très honorablement; je me rappelle même la dernière séance où j'ai dit:" Voilà , vous avez décidé d'arrêter l'ELDO" Ils avaient d'ailleurs déjà décidé d'arrêter Europa 3; C'est Europa 2 qui restait encore. donc c'est à la dernière séance qu'on a coupé europa2 et j'ai dit:" Moi, je ne peux que m'incliner devant ça; C'est une décision de votre conseil. Il est bien entendu que nous ferons tout ce que nous pouvons pour que ça aille le plus vite possible; c'est à dire que nous vendrons tous les biens, tout ce qui appartient à l'ELDO, tout ce qu'on peut en récupérer et on va dissoudre très rapidement de manière à ne pas trainer. Ce que je me demande simplement c'est que vous fassiez des conditions honorables au personnel qui lui va se trouver à la rue" ça les gens ont très bien compris; ils ont été payés pendant deux ou trois ans ou à peu près... sauf quand ils retrouvaient du travail bien entendu; ça a été très honorable. Beaucoup ont retrouvé du travail, mais il y en avait quand même, en particulier des types plus âgés qui ont eu du mal à en retrouver.
AL : Sillard et d'Allest ont retrouvé du travail tout de suite ?
GA : Oh, Sillard et d'Allest, il n'y eu aucun problème. Sillard, c'était amusant parce que Bignier était à ce moment là le patron du CNES, et il était venu me trouver: Il m'avait dit "J'ai l'intention...il faut que je trouve quelqu'un pour manager Europa 3....Ariane; qu'est-ce que vous me conseillez" . Je lui ai dit " Moi, si j'ai un conseil à vous donner, si j'étais vous, je prendrais Sillard; j'avais la responsabilité de Sillard et Sillard est libre donc... et Sillard n'a démérité en aucune façon". Il m'a dit "oui, mais je n'aime pas beaucoup Sillard; je préférerais Bigot" Je lui ai dit" Bigot est très bien aussi mais moi, entre Bigot et Sillard, je préfère Sillard...au point de vue technique" Alors il a choisit Bigot; C'est Bigot qui lui a refusé parce que Bigot voulait rester à Air Inter; Et alors il a pris Sillard après; Sillard m'a toujours dit :" Il m'a pris par défaut", mais enfin il était très content.
AL: Il craignait un peu la poigne de Sillard ?
GA : Je ne sais pas . Il avait ses idées. Mais il était très ami avec Bigot.
AL : Bigot est plus rond que Sillard...
GA : Mais il est très bien aussi vous savez. Ils auraient été très bons tous les deux
Sillard a manœuvré ça remarquablement. Il a fait tout plus ou moins à forfait et il faut le faire. C'est bien, non, c'est bien ce qu'a fait...
AL : Oui et puis il a pris des risques dans la gestion financière très habilement, mais tout de même vraiment très courageusement...
GA : Alors il s'est appuyé; Il a eu D'allest qui est un bon technicien; il a eu une bonne équipe quoi. C'est très bien.
AL : Ce qui est amusant, peu de temps avant qu'il ne vienne au CNES, j'avais eu communication d'une note de Sillard expliquant que L3S ( ça s'appelait comme ça à l'époque) ne serait jamais un bon lanceur.
GA: Oui, oui; mais ça c'est normal, oui, oui c'est normal, il avait la responsabilité d'Europa 3.
AL: Quand j'étais à l'ESA, j'avais un jour été pris à parti dans un couloir par Curien et Sillard qui me reprochait de ne pas avoir suffisamment soutenu la position...
GA: Curien alors Président...
AL : président du CNES ... de ne pas avoir soutenu la position du CNES sur je ne sais quel aspect de la politique "lanceurs ". j'ai commencé à m'expliquer et au bout d'un moment j'ai dit :"écoutez, je trouve tout de même extraordinaire que vous m'attaquiez sur ce sujet parce que de nous trois; je suis le seul qui n'est jamais été opposé à Ariane."
GA: Non seulement pas opposé, mais vous êtes l'initiateur.
AL: Eh , alors Sillard a eu cette réponse délicieuse" Oh oui, mais moi, ça n'a pas duré longtemps"
GA: je dois dire que moi, je trouvais aussi que ça n'était pas très avancé au point de vue technique. Et c'est une erreur que je commettais; je me disais: quand même décider ça maintenant on est vraiment très en dessous; En réalité ce n'est pas vrai.
AL : C'est l'équipe "lanceurs" qui avait fait l'analyse: voilà si on prend cette définition, on n'aura pas de problème technique majeur, on n'aura que des problèmes mineurs et ça nous suffira bien.
GA: Le lanceur Ariane avec l'actuel champ de tir de Guyane, c'est quand même un truc extraordinairement brillant. Il faut dire que je n'y suis pour rien...Non ,non j'ai eu un petit truc mais tout le monde a eu un petit truc... La dernière fois que je suis allé voir tirer Ariane 5, j'ai été assez bluffé par le champ de tir. J'ai cru comprendre que maintenant ils avaient fait de nouveaux bâtiments qui sont absolument extraordinaires. C'est vraiment un champ de tir extraordinaire. je ne parle pas au point de vue même de l'emplacement: il est bien placé mais tout l'ensemble du système, le personnel, l'organisation et ça , plus le lanceur, c'est quand même un succès énorme.
AL: Oui et puis c'est une opération maintenant où cohabitent des Européens, des Italiens, des Allemands...
GA: Il y a des gens de tous les pays et des clients de tous les pays et de toutes les couleurs même.
AL: comment avez vous quitté l'ELDO vous -même?
GA: Oh bien, pendant un an j'ai été le secrétaire général de l'ensemble ELDO-ESRO. Il y avait une réunion et j'étais secrétaire général. J'étais par exemple ,le secrétaire quand il y a eu la décision d'Ariane à Bruxelles, j'étais le secrétaire.
AL: La décision de créer une agence unique ?
GA : Mais je n'y suis pour rien...
AL: Ce qui était curieusement l'idée d'Heseltine
GA: Oui, absolument d'Heseltine. Mais Heseltine avait des idées tout à fait originales et qu'on aurait dû suivre . Le gouvernement français a eu tort à mon avis de ne pas le prendre au mot; il fallait le prendre de vitesse, à mon avis, parce qu'il émettait des idées qui étaient contraires à son gouvernement. Donc il fallait le prendre, le surprendre.
AL: Jean Charbonnel ne l'aimait pas; on ne pouvait pas les faire parler ensemble. Quand les anglais ont décidé de participer à Ariane par le biais d'une convention bilatérale avec la France (Ils voulaient une Agence Spatiale Européenne unique et ils coopéraient en bilatéral avec la France sur Ariane) et qu'il a fallu voir ce qu'ils pouvaient faire, ça s'est passé à Bruxelles même, moi j'étais derrière le ministre, Charbonnel m' a dit "Est-ce qu'il y a des choses que les anglais peuvent faire" J'ai dit oui, on avait un dossier tout prêt. Il m'a dit "Allez en parler avec Heseltine parce que moi, je ne veux pas lui parler" Alors ça, ça a joué un rôle un peu négatif.
GA : J'ai donc été pendant un an, secrétaire général de la conférence commune et puis je suis parti.
AL: C'est Messmer qui s'est opposé à votre nomination à la direction générale de l'ESA ?
GA : Ah oui, je n'étais pas très chaud , je vous dirais, pour être patron de l'ESA. je m'étais dit: quand même, puisque je ne veux pas avoir l'air de terminer par un échec, je vais y aller. Et alors tout le monde était d'accord sauf Messmer qui était à ce moment là Premier ministre qui a dit non, non. c'est son droit. Il n'a pas voulu , il n'a pas voulu, hein. Il avait proposé Chevallier; Je ne sais pas pourquoi ça n'a pas marché.
AL: Je crois que le ministre des Armées s'y est opposé.
GA: Oui et pourquoi il ne voulait pas de Chevallier ?
AL: Parce qu'il ne voulait pas lâcher Chevallier. Ce n'était pas qu'il ne voulait pas de Chevallier à la tête de l'ESA, c'est qu'il ne voulait pas lâcher Chevallier.
GA: Il y a eu Blassel aussi qui était candidat et puis il y a eu aussi l'allemand qui était bien en cour lui: il avait été maire de Bonn: lui aussi était candidat et puis en définitive ça été tout bêtement l'anglais. C'est bizarre.
AL: Roy Gibson qui était le directeur administratif de l'ESRO.
GA : Très bien d'ailleurs. Vous avez été à l'ESA vous avec lui. Ce n'était pas l'ESA ?
AL: Si, si c'était l'ESA. Je n'ai jamais été à l'ESRO. Je suis entré à l'ESA le jour de la signature de la convention...