Florence Gaillard-Sborowsky : la construction symbolique de l'Espace Européen
article de 2002 revue Hermès du C.N.R.S
Au regard de ce qui s'était passé pour les Etats-Unis et l'URSS, l'Espace pouvait théoriquement être ce symbole nécessaire à l 'Europe qui en a besoin comme tout système politique à fortiori s'il est en devenir. La construction européenne en marche ne pouvait se passer d'effectuer ce travail. Cependant l'exploration spatiale européenne n'a jamais réellement eu un visage symbolisant l'Europe malgré quelques réussites éclatantes comme le lanceur Ariane.
Le projet de lanceur est défendu de son côté par des responsables gouvernementaux et émerge sur proposition britannique. Soucieuse de ne pas laisser improductives les 70 millions de livres investies dans le programme "Blue Streak" de missile balistique, déjà obsolète en tant qu'arme de dissuasion, la Grande Bretagne propose une collaboration européenne destinée à mettre au point un lanceur spatial. Ici encore , ce projet ne porte pas réellement de valeur symbolique mais bien au contraire se veut répondre à un souci d'efficacité. La France se montre très favorable car elle y voit aussi le moyen de rentabiliser son propre programme de missile et le développement d'un lanceur national qu'elle envisage. En février 1961, une conférence intergouvernementale est réunie pour procéder à l'examen détaillé du projet. Une seconde conférence en novembre de la même année fixe les principes de l'accord et un traité est signé au printemps 1962 créant le CECLES-ELDO. Seuls six pays en sont membres : La France, la Grande-Bretagne, l'Italie, la R.F.A, les Pays-Bas et la Belgique. L'Australie qui met à disposition le champs de tir de Woomera en fait également partie. L'objectif du CECLES-ELDO est de développer un lanceur, baptisé "Europa" composé de trois étages qui seront construits respectivement par la Grande-Bretagne, La France et l'Allemagne. Les autres pays se partagent la conception des satellites technologiques servant aux tests de mise en orbite (Italie), la station de guidage au sol (Belgique) et la télémétrie ( Pays-Bas). Ces regroupements affirmaient officiellement une identité européenne. Il y avait donc tentative de construction d'un symbole de l'Europe qui se traduisit dans les faits par la présence dans l'élaboration de l'ESRO et de l'ELDO de représentants du conseil européen ainsi que dans les rapports établis ultérieurement par les deux organisations spatiales. L'Espace est associé de manière explicite à la construction européenne dans le premier rapport du CECLES-ELDO même si c'est en négatif : "Il apparaît difficile de formuler des programmes futurs concernant les activités spatiales tant que l'Europe n'aura pas établi dans ce domaine, une politique unifiée et cohérente". L'identité européenne est rappelée de même dans le premier rapport du CERS-ESRO qui considère qu'il "permettra au lecteur d'apprécier les efforts entrepris par l'Europe pour mettre à la disposition de ses savants les moyens matériels nécessaires à la poursuite de leurs travaux dans le domaine de la recherche spatiale". Pour autant la succession de crises qui jalonnèrent l'existence de l'ESRO et de l'ELDO témoigne surtout de l'importance des intérêts nationaux dans les questions spatiales et donc de la difficulté à produire un symbole résolument européen.En ce qui concerne l'ELDO, le fractionnement du programme initial où chaque morceau était placé sous l'autorité et la responsabilité du gouvernement concerné, empêchait l'intégration du projet, entraînant des retards considérables, une escalade des budgets et amena aussi à des approches très différentes.Alors que la France, inquiète des programmes russes et américains proposent des lanceurs nettement plus performants, demandait dès 1965 une réorientation plus ambitieuse du programme, les partenaires, notamment, anglais, soucieux de l'augmentation des coûts menaçaient en 1966 de se retirer du projet. C'est encore un compromis qui est trouvé. En contrepartie d'une révision à la baisse de la cotisation britannique, le programme s'oriente vers le développement d'un lanceur capable de correspondre aux besoins européens dans le domaine des télécommunications. En 1968, la suppression dans le programme de l'étage d'apogée, pour des raisons budgétaires, provoque la colère de l'Italie qui en avait la responsabilité, et l'échec du vol d'Europa 1 F-7 accentue la crise. En 1969, le Royaume-Uni, puis l'Italie décident de se retirer de l'ELDO. La proposition en 1970, de lancer un nouveau programme, "Europa 3" ne survivra pas à l'échec du lancement d'Europa 2 en novembre 1971. Et en 1973, tous les programmes de l'ELDO sont arrêtés.