La Liquidation de L'ELDO
La LIQUIDATION DE L'ELDO
Difficultés et incertitude de la coopération scientifique européenne
par Jean-Louis Lavallard (Mai 1973)
L’abandon, le 27 avril dernier, du programme de lanceur de satellite Europa-2 et la liquidation de fait de l’organisme qui était chargé de sa construction, l’Organisation européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d’engins spatiaux (ELDO), ont une fois de plus démontré que la coopération scientifique et technique entre les pays de la Communauté n’était pas facile à établir. Ceux qui pensaient que les techniciens et les scientifiques se mettraient plus facilement d’accord que les industriels ou les agriculteurs se sont trompés.
Le bilan des entreprises scientifiques européennes est maigre. Pour l’espace, l’ELDO vient de disparaître, et l’Organisation européenne de recherches spatiales (ESRO), qui construit des satellites, vivote. Pour l’atome, l’Euratom a enfin un programme pluriannuel, mais juste suffisant pour ne pas l’obliger à licencier trop de personnel. Dans les autres domaines, on piétine. Aucune décision importante n’a pu être prise dans des secteurs aussi divers que l’informatique, l’environnement ou la métallurgie. Tout au plus est-on arrivé à mettre sur pied une coopération sur la prévision météorologique et un centre d’information sur les programmes d’ordinateurs, des opérations qui, sans être dépourvues d’intérêt, n’en sont pas moins mineures. Le seul programme important qui ne pose apparemment pas trop de problèmes est celui de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN).
Les obstacles à un développement de la coopération scientifique et technique ne sont pas spécifiques de ce secteur. Ils proviennent de la volonté de la plupart des pays de donner le moins possible et de recevoir le maximum. Un projet est-il important ? Chacun veut le garder pour soi. Ne l’est-il pas ? On accepte de le donner à la Communauté. Mais le moment venu, on refuse de le financer car il n’a que peu d’intérêt. La situation se complique encore plus quand interviennent des considérations politiques, la rivalité entre l’Europe et les Etats-Unis, par exemple. A la question « l’EUrope doit-elle mettre au point un programme spatial capable de faire un contrepoids à celui des Etats-Unis sinon de le concurrencer ? », tous les pays européens ne répondent pas de la même manière. En conséquence, ils ne parviennent pas à adopter une attitude commune.
Des programmes à la carte
On a cru initialement que les divergences pourraient être, au moins en partie, aplanies en choisissant des structures d’organisation adaptées à chaque cas. Mais le véritable problème n’est pas là. L’Euratom résulte d’un traité analogue à celui du Marché commun ; l’ELDO, d’une convention particulière qui donnait une tâche précise à chaque pays dans la construction d’un lanceur (chacun devant construire un étage de la fusée ou un élément essentiel). Les satellites de l’ESRO sont fabriqués par des consortiums industriels comprenant un membre de chaque pays. Mais dans tous les cas on rencontre des difficultés du même type.
La mode est aujourd’hui aux organisations où seuls quelques pays sont représentés. On trouve des « programmes à la carte » à l’Euratom et à l’ESRO. Ils permettent à chaque pays de ne financer que les programmes qui les intéressent. Il y a aussi des entreprises bi ou trilatérales. Le réacteur à haut flux franco-allemand de Grenoble en est un bon exemple. Il intéresse maintenant les Anglais qui viennent d’y prendre une participation. Mais les organisations comportant un nombre réduit de membres ne sont pas une panacée. La France, par exemple, a bien du mal à trouver des partenaires pour son lanceur de satellites L-3 S.
Deux camps aux intérêts divergents
Elles ne sont pas toujours non plus l’idéal. La Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la République fédérale d’Allemagne se sont unis dans la « troïka » pour étudier le procédé d’ultracentrifugation d’enrichissement de l’uranium. Il en résulte aujourd’hui un partage des pays de la Communauté en deux camps : d’un côté, la « troïka », d’autre part, les partisans de la diffusion gazeuse conduits par la France. L’Euratom, qui est responsable de ces problèmes au niveau de la Communauté, se trouve ainsi pris d’une manière désagréable, entre deux groupes aux intérêts divergents.
En fait, pour qu’une véritable politique scientifique communautaire puisse s’instaurer, il faudrait que plusieurs conditions fondamentales soient remplies. Il est nécessaire que les options économiques de la Communauté soient clairement définies, et que les pays membres cessent d’avoir des opinions divergentes sur l’attitude à prendre vis-à-vis des Etats-Unis et du système monétaire international. Il faut aussi que s’inscrive dans les faits une réalité industrielle européenne – avec notamment la création de véritables sociétés européennes. Sinon des divergences apparaîtront chaque fois que des décisions touchant des recherches susceptibles d’application seront à prendre.
Jean-Louis Lavallard
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